La métacognition, sommet de l'abstraction ?


 Comment, en technologie, introduire un savoir sur la résolution de problème ?

Quand les élèves sont mis en situation d'améliorer
(sans autre consigne) un modèle réduit modifiable,
comportant des éléments d'engrenage, ils tâtonnent,
essaient différentes combinaisons souvent infructueuses.

Une mise en commun des essais infructueux permet
de faire découvrir aux élèves que leurs tâtonnements
suivent une logique certaine mais parfois trop simple
au regard de la réalité : il arrive que ce soit le plus petit
élément qui produise le plus grand effet...

       

Appartenant aux domaines de la mécanique et de la métrologie, l'odomètre est une machine "simple" comportant un système d'engrenage qui permet une mesure de distance par une réduction du mouvement. Ainsi, pour 3 ou 100 tours de roue (au sol) , peut correspondre un seul tour d'aiguille (au cadran) , et ceci en fonction de l'importance du système d'engrenage adopté. La tradition connaît en particulier l'odomètre d'Héron d'Alexandrie (v. reproduction ci-jointe) . Nous avons réalisé une série de modèles réduits et simplifiés de cet odomètre dans un matériau modifiable, à savoir le lego technique.

Le problème proposé est de transformer l'odomètre reçu pour en majorer l'effet (à savoir, mesurer la plus grande distance possible pour un tour d'aiguille) , et de rendre compte des essais entrepris, même s'ils sont infructueux. La mise en situation (1) et la méthodologie suivie ont été définies par ailleurs (2).


Les transformations effectuées.

Dans le cas présent, nous nous sommes intéressés en particulier à l'étude des cheminements infructueux pratiqués par les élèves pour résoudre le problème proposé. sur base des données recueillies lors des expérimentations faites dans plusieurs classes de 1ère (3) , nous avons relevé chez les élèves une série de manières de procéder qui, à la suite de manipulations et de transformations effectuées, peuvent être l'objet d'un travail de métacognition (4) ou de réflexion sur les démarches suivies.

Nous avons dressé un tableau schématique reprenant les différentes stratégies utilisées par les élèves

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Commentons l'ensemble de ces schémas : alors que le principe de la réduction de mouvement est d'emblée présent (les élèves n'ont donc pas à l'inventer) , ils ne la repèrent pas de façon précise. "Ce sont les roues dentées".

          En fait, entre la

situation initales (i) et la transformation (n°4), il y a un véritable saut cognitif. Il arrive exceptionnellement que ce passage soit fait rapidement par un élève ou l'autre grâce à une reproduction d'un déjà-vu. Ce fait rare, dans les expérimentations faites, n'engageait pas une compréhension du mécanisme et encore moins la capacité d'intégrer une vis d'Archimède au mécanisme, état consacré de la machine (voir reproduction de l'odomètre d'Héron).

Dans l'immense majorité des cas, les modifications entreprises (5) pour majorer l'effet conduisent à une suite de solutions.

Dans l'ordre d'apparition, nous observons l'addition linéaire (n°1) des roues dentées, la concentration (n°1bis, rarement constatée), l'enlèvement de la petite roue et son remplacement par une plus grande (n°2). Cette dernière précision conduit à neutraliser l'effet initial et à mettre en évidence le rôle de la petite roue dentée mais, paradoxalement, cette mise en évidence entraîne la reprise légèrement modifiée d'une disposition déjà entreprise en premier lieu : l'addition linéaire. En effet, dans la transformation (n°3), les petites et les grandes roues dentées sont additionnées linéairement, en groupe ou alternativement.

La transformation (n°4) marque un vrai saut cognitif qui peut être facilité en invitant les élèves à se concentrer, d'une part, sur les trois premiers éléments du système (la roue, les petite et grande roues dentées) et, d'autre part, sur le comptage des dents après un tour de roue, ce qui n'est possible qu'en se donnant des points de repère.

Une fois que le mécanisme de réduction est situé et qu'il peut être dupliqué, une autre difficulté reste à franchir (pour certains élèves), c'est la capacité de concentrer dans l'espace initial du boîtier un maximum de réductions, ce qui nous rapproche du schéma de l'odomètre d'Héron.


La réflexion sur les transformations.

Après avoir passé en revue les différents essais entrepris par les élèves, on peut mettre en évidence deux types d'obstacles épistémologiques, l'un de nature sémantique et l'autre de nature structurelle. Au plan sémantique, qund on demande aux élèves d'augmenter un effet, ils partent de l'idée que le procédé adéquat est de mettre des éléments supplémentaires ou de remplacerles éléments existants par de plus grands. Les élèves n'imaginent pas, semble-t-il, qu'il arrive que l'amplification de l'effet soit inversément proportionnelle à la grandeur de certains éléments...

Au plan structurel, c.à.d. la disposition des éléments les uns par rapport aux autres, on peut constater que les élèves ne voient pas que les décalages successifs(n°4) des couples de petite et grande roues dentées placées sur des axes différents maintient l'effet démultiplicateur à son premier niveau.

Cette compréhension épistémologique, essai de métacognition, ne s'adresse pas directement aux élèves, elle ne doit être entreprise qu'à partir d'une mise en commun, la plus explicite possible. C'est ce que nous avons tenté avec notre tableau schématique.Cette synthèse schématique devrait au moins donner à comprendre que l'amplification d'un effet n'est pas toujours obtenue par le recours à des éléments plus grands. Bref, il arrive qu'un plus grand effet puisse être obtenu par l'usage d'un plus petit élément (6)...


Conclusion.

En conclusion, le choix d'une situation-problème, d'un matériau facilement manipulable, l'attention à une formalisation des essais, ainsi qu'une réflexion sur les différents tâtonnements entrepris par les élèves sont autant de conditions pour arriver à faire esquisser par les élèves du 1er degré une démarche plus générale de résolution de problèmes qui ne sera pas une liste de consignes simplement transmises, devant être suivies dans toutes les circonstances. Alors seulement, on aura fait la preuve, auprès de nos élèves, que : "Penser ne se réduit point , croyons nous, à parler, à classer en catégories ni même à abstraire. Penser, c'est agir sur l'objet et le transformer" (7).

                                        BERNARD SPEE

(1) Fiche pédagogique : l'odomètre (à paraître sur ce site)

(2) Vers la technologie : les modèles réduits, cassette vidéo (30 min), B.Spée, FESec-FPE, publiée avec le concours du Ministère de l'Education de la Recherche et de la Formation, 1995.

(3) Nous tenons à remercier J.P.Huyts et ses élèves pour leur collaboration.

(4) H.Laurent et F.Tilmant, La démarche technico-mentale (en particulier pp. 19-21), Cahier du Segec n°3, FESEC, 1995.

(5) Sauf dans le cas d'un démontage précipité, indice d'une certaine "agressivité" à canaliser.

(6) Le problème de la majoration de l'effet d'un jeu d'engrenage pourrait être rapproché d'un indicateur d'une compétence en mathématique, où la division d'un nombre entier par un nombre décimal a pour "effet" de donner un nombre plus grand que le nombre inital, un résultat inversément proportionnel aux attentes initiées par la pratique de cette même opération sur les seuls nombres entiers. Exemple : 10:5=2, mais 10: 0.5= 20. Cf. Les socles de compétences dans l'enseignement fondamental et au 1er degré, p.76, Ministère de l'Education et de la Formation, 1994.

(7) J.Piaget, Les praxies chez l'enfant, p.65, in Problèmes de psychologie génétique, Denoël Gonthier, 1972. Article paru dans la revue Echec à l'échec n°111 , C.G.E, Bruxelles, janvier 1996


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